Definox : Prévenir au mieux les risques psychosociaux abonné

Après la tentative de suicide d’un salarié, la section CFDT s’est employée à faire changer des règles de management à l’origine de l’augmentation des risques psychosociaux dans l’entreprise.

Par Claire Nillus— Publié le 14/08/2019 à 07h43

Le bâtiment est flambant neuf. Il a été construit en 2015 en vue d’accueillir les ateliers devenus trop petits pour Definox, leader sur le marché français de vannes en acier inoxydable destinées à l’industrie agroalimentaire. Problème : les pratiques managériales, elles, n’ont pas évolué. Ainsi, le 2 février 2017, comme à chaque début d’année, le chef d’atelier distribue les augmentations individuelles : au su et au vu de tout le monde, il vient taper sur l’épaule de l’ouvrier concerné et lui demande de le suivre dans son bureau. Ce matin-là, Éric* voit ses collègues convoqués les uns après les autres pour aller récupérer la précieuse missive. Comprenant qu’il n’est pas sur la liste, vers midi, il tente de se pendre près de sa machine. Juste avant de passer à l’acte, il a laissé le dessin d’un pendu, expliquant son geste, sur le bureau de son responsable. Heureusement, deux ouvriers qui ne sont pas encore partis déjeuner l’aperçoivent et le décrochent in extremis.

Une direction peu réceptive à l’anxiété du personnel


Des élus CFDT qui ne sont pas seuls
Le soutien de la Carsat et le travail mené avec le cabinet d’expertise ont été déterminants pour les élus CFDT. Ils se sont approprié la démarche afin de faire comprendre à la direction que la manière dont elle traiterait cet événement serait déterminante quant à la suite de son activité. Ils ont pu être proactifs pendant les huit mois de l’enquête paritaire demandée en CHSCT.

Le contenu de l’entretien individuel redéfini
L’une des avancées majeures à l’issue de l’enquête : pouvoir parler sereinement des augmentations individuelles, en faire un sujet de discussion lors des entretiens individuels, avec un support et des critères objectifs dans son déroulé et l’obligation pour la direction d’afficher les résultats de chaque négociation annuelle obligatoire.

La création d’un comité de suivi des risques
C’est la clé de voûte du système. Un comité de suivi paritaire composé de deux élus CFDT et de deux représentants de la direction a défini les unités de travail qui vont faire l’objet d’une évaluation des risques psychosociaux. Objectif : repérer les indices de dérapage dans tous les ateliers de l’entreprise pour les intégrer au fur et à mesure au document unique d’évaluation des risques (DUER).

La section CFDT est d’autant plus choquée que deux semaines auparavant, elle avait déposé une alerte en CHSCT, expliquant qu’il fallait faire très attention à ce salarié qui n’avait pas été augmenté depuis plusieurs années et qui donnait des signes d’anxiété inquiétants. « La direction n’en a pas tenu compte. Pas plus que des autres cas de suicide survenus précédemment : au moment de la vente de notre activité en 2011 (nous faisions alors partie du groupe Defontaine), puis en mars dernier. Le climat social est très dégradé », explique Fabien Pons, délégué syndical. « Le geste d’Éric témoigne du malaise qui s’est généralisé dans l’entreprise. En 2015, nous avons changé de management. L’ex-directrice financière a pris la direction générale et, depuis, nous avons eu affaire à un management déshumanisé, dominé par les chiffres. »

François, élu au CHSCT, ajoute : « Avant, les chefs d’atelier étaient capables d’usiner une pièce à la place de l’ouvrier. Maintenant, ils poursuivent leurs objectifs, n’ont en tête que leur intéressement, ne connaissent rien à notre travail. On ne communique plus que sur des écrans, on nous demande de remplir sans cesse des tableaux pour justifier le respect de procédures de plus en plus complexes, mais sans nous expliquer pourquoi. Il y a une perte de sens, on ne comprend pas l’utilité de ce qui est demandé. »

Après la tentative de suicide d’Éric, la section, démunie, n’ayant jamais eu à traiter ce genre de cas, n’a pas baissé les bras. Lors du CHSCT extraordinaire qui a suivi, elle a demandé, aidée de la Carsat (Caisse d’assurance-retraite et de la santé au travail), la mise en place d’une délégation d’enquête paritaire (DEP) composée de deux élus CFDT et de deux représentants de la direction. Les militants ont réussi à convaincre la direction de valider les principes d’une DEP selon les préconisations de l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité) en faisant appel à un cabinet d’experts pour mener les entretiens : « Il fallait obtenir des gages de la gouvernance afin qu’à la suite de l’accident le travail puisse reprendre dans des conditions sereines à l’atelier, poursuit Fabien. Pour cela, il fallait que la direction accepte de s’interroger sur notre qualité de vie au travail. Si le geste d’Éric pouvait avoir de multiples causes, nous voulions que l’enquête se centre uniquement sur l’analyse de son travail et la mise en évidence des faits liés à sa seule activité professionnelle. Nous voulions que tous les facteurs de risque soient pris en compte avec l’objectif d’élaborer des mesures de prévention. »

Un climat social délétère au sein de l’entreprise

L’enquête, régulièrement relayée par les élus auprès des autres salariés, a duré huit mois. Ses conclusions ont clairement mis en cause la politique de valorisation salariale de l’entreprise et confirmé que les « modalités d’annonce » des augmentations étaient source d’incompréhension pour les ouvriers. Puisque seuls les bénéficiaires étaient reçus, ceux qui doutent et espèrent une augmentation trouvent que l’attente est longue et pénible.

La disponibilité du manager, insuffisante, a également été pointée du doigt. Les effectifs de l’atelier (42 ouvriers) où a eu lieu…

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